« La plus grande barrière qui s’oppose à une communication mutuelle interpersonnelle est notre tendance toute naturelle à juger, à évaluer, à approuver ou désapprouver les dires de l’autre personne ou de l’autre groupe. » Carl Rogers

Nous avons naturellement tendance à juger et évaluer l’autre par rapport à notre propre point de vue et notre propre cadre de référence. Combien de malentendus, de conflits, de non-dits, bref de situations interactionnelles sont dégradées par ce manque d’acceptation de l’autre avec sa différence, sa spécificité ? Et c’est bien entendu amplifié dans les situations émotionnellement fortes, lorsqu’il y a des enjeux importants pour les parties prenantes.

Et si on s’écoutait vraiment ?

En relisant ce livre de Carl Rogers sur la « relation d’aide à l’autre »*, cela éclaire plusieurs cas abordés encore récemment dans des cas de coaching individuels et collectifs :
– Crise dans une équipe dont les projets sont en retard, où personne ne s’écoute et cherche à comprendre les difficultés et besoins des uns et des autres,
– Un Manager qui s’impatiente et s’agace que ses collaborateurs n’avancent pas comme il le voudrait, mais qui ne s’est pas assuré que ses attentes étaient exprimées de façon explicites et comprises,
– Deux collègues en conflit : ils se jugent selon leurs valeurs et leurs représentations du travail propres à chacun, et très différentes ; ils ne se comprennent pas, les échanges tournent en critiques et aux reproches d’un côté, au mutisme boudeur de l’autre, les problèmes deviennent la faute de l’autre et ne sont pas prêts d’être résolus…

 

La compréhension empathique

Carl Rogers nous rappelle que la véritable communication s’établit quand nous éviton de juger et que nous écoutons avec compréhension, quand nous arrivons à assimiler le cadre de référence de l’autre, à accepter que ce qui est dit l’est en fonction de sa sensibilité et de son point de vue.
C’est ce qu’il appelle la compréhension empathique : « compréhension avec la personne et non à son sujet ». Être centré sur lui, sur ce qu’il ressent et pas uniquement sur ce qu’il me dit.
L’empathie est la capacité à « vivre le monde de l’autre ».

En intelligence émotionnelle, l’empathie est une des compétences clés : la capacité à comprendre les émotions de l’autre et à en tenir compte dans ses actions et décisions.
Il ne s’agit pas de vivre l’émotion de l’autre avec lui, mais de la reconnaître et l’accueillir sans jugement.

Rejoindre l’autre dans ce qu’il vit, se synchroniser avec lui pour établir les bases d’une communication constructive. Cela nécessite bien entendu un minimum d’envie de coopération des parties prenantes et de ne pas être dans des postures défensives.

Car Rogers liste les conditions favorables à une relation interpersonnelle réussie :
– la congruence de la personne,
– la clarté de son propos,
– la compréhension empathique,
– la considération positive de l’autre,
– faire en sorte que l’autre se sente compris et considéré dans la relation.

Comment mettre en pratique dans notre communication au quotidien ?
écouter… écouter vraiment… pour laisser à son interlocuteur le temps de s’exprimer, écouter pour comprendre et non pas pour répondre tout de suite,
accepter les silences, ne pas chercher à les combler, laisser le temps à son interlocuteur de cheminer dans sa réflexion,
s’assurer de la compréhension de ce que me dit l’autre: le questionner, avec des questions ouvertes et de clarification, et ne pas hésiter à reformuler « si je comprends bien ce que tu es en train de me dire… »
montrer à l’autre que je comprends ce qu’il vit : « est-ce que ce tu exprimes c’est de la colère par rapport à cette situation que tu trouves injuste ? », « j’ai le sentiment que tu es agacé par cette décision ? »
faire le pas de côté, suspendre son jugement, c’est l’image de deux personnes qui se font face et ont un chiffre entre eux, un 6 ou un 9 ? en faisant le pas de côté, ils rejoignent en partie la position de l’autre pour comprendre son cadre de référence, sortir de l’incompréhension mutuelle ou du conflit
distinguer dans la communication les faits, les émotions ou sentiments, le jugement et l’opinion, 
être en conscience de mes émotions, et comprendre ce qu’elles me disent de ce que je suis en train de vivre.

 

Au-delà de clé pour la communication, l’écoute et la compréhension empathiques sont des alliés précieux pour les situations collaboratives et managériales

 

Ces postures d’écoute et de compréhension empathiques sont par exemple celles que nous utilisons en co-développement. Les participants s’aident mutuellement sur la résolution d’un sujet par des postures d’écoute active, centrée sur le « client », d’attitudes non jugeante et responsabilisante, de questions ouvertes de clarification, de suggestions et de conseils sans jugement ni opinion.

Les ateliers de codéveloppement permettent au-dela de l’aide à la résolution d’un sujet concret grâce à l’intelligence collective, de développer l’esprit de responsabilité individuel et collectif, la capacité à s’écouter, l’esprit d’entraide entre pairs.

De même l’écoute et la compréhension empathiques sont utiles en management lorsque l‘on veut développer un mode d’accompagnement responsabilisant.

D’ailleurs la définition de la relation d’aide de Carl Rogers, utilisée à l’époque pour les thérapeutes et métiers de l’accompagnement, a une résonnance aujourd’hui pour ce que nous pouvons appeler le « manager coach », celui qui cherche à responsabiliser et faire grandir ses collaborateurs :
La relation d’aide est celle dans laquelle nous cherchons à « favoriser chez l’autre la croissance, le développement, la maturité, une meilleur fonctionnement et une plus grande capacité d’affronter la vie ». C’est «favoriser une appréciation plus grande des ressources latentes internes de l’individu, ainsi qu’une plus grande possibilité d’expression et un meilleur usage fonctionnel de ses ressources. »

Les 10 pistes de réflexion et conseils de Carl Rogers pour entrer en relation d’aide avec l’autre pourraient faire écho à certains référentiels de compétences managériales actuels :
– être perçu comme étant digne de confiance, sûre et conséquent au sens le plus profond
– avoir une attitude congruente
– avoir une attitude positive (montré de l’ intérêt et du respect)
– avoir suffisamment d’indépendance pour comprendre l’autre sans se perdre
– avoir suffisamment de force intérieure pour permettre à l’autre d’être ce qu’il est, sans besoin de le prendre pour modèle
– la compréhension empathique
– l’acceptation inconditionnelle de l’autre, l’accepter tel qu’il est
– un comportement bienveillant
– une attitude non jugeante et responsabilisante
– voir l’autre comme une personne qui est en devenir avec ses potentialités

Pour le Manager cela passe par expérimenter une nouvelle posture, différente peut-être de ce qu’il pratique habituellement :
– accepter son collaborateur comme il est et ne pas vouloir le changer à tout prix, essayer de comprendre son cadre de référence et son point de vue plutôt que de calquer les siens,
être centré sur ce que son collaborateur vit, au-delà de ce qu’il dit,
se positionner en Manager « ressource », qui va poser des questions « aidantes » plutôt que donner de façon directive « ses » solutions tout de suite.

J’entends déjà certains me dire « c’est le monde des bisounours ton truc » 😉 Précisons ici que compréhension empathique ne veut pas dire que le Manager va s’empêcher d’exprimer un désaccord de peur de froisser son collaborateur, ni qu’il va la laisser patauger dans une difficulté. Cette posture non jugeante est responsabilisante. Elle n’est pas incompatible avec une forme d’exigence, bien au contraire. Elle permet de positionner chacun dans la relation en responsabilité.

Je suis convaincue que l’on peut poser le cadre, fixer des objectifs, exprimer des attentes ou des désaccords, mais en le faisant avec cette intelligence de situation et du cœur, avec authenticité et sincérité, et que ça marche😉

Et la bonne nouvelle, c’est que nous sommes tous « outillés » pour développer cette écoute et cette compréhension empathiques ! l’empathie est une compétence propre à l’intelligence émotionnelle, dont nous sommes tous dotés, et que nous pouvons développer tout au long de notre vie. Envie de renforcer la compréhension empathique dans vos équipes ? Parlons coaching et co-développement 😊

Estelle Fontaine,

Le 16 Mai 2024

*Ouvrage cité : Carl Rogers, « Comment puis-je aider les autres ? », Le développement de la personne » InterEditions , notamment les articles : « comment créer une relation d’aide ? », « qu’est-ce que vivre implique ? », « essai de formulation d’une loi générale des relations interpersonnelles »