REPRISE DU TRAVAIL ET PROTOCOLE DE DECONFINEMENT POUR LES ENTREPRISES

INTERVIEW DE DAVID BEGARD (CADENCE CONSEILS), CONSEILS EN SANTE SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Lundi 11 mai 2020: date du déconfinement progressif et de la reprise, pour beaucoup, du chemin du travail. Pour le faire en préservant au maximum la sécurité des personnes dans cette crise du coronavirus, le Ministère du Travail a publié à l’attention des employeurs un Protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la sécurité et la santé des salarié, ainsi que des guides par métier (ici).

Nous avons demandé à David Begard, Préventeur en Santé Sécurité, quels étaient ses clés de lecture de la situation. Réponse sans langue de bois mais avec pragmatisme et bon sens ! Merci David !

 

1- « Concrètement que retenir du protocole qui vient de paraître? »

« Que nous sommes en France !!! Le, ou plutôt les protocoles de déconfinement complètent, améliorent, compliquent les 48 guides métiers déjà existants. De plus, ils viennent en complément des protocoles d’actions déjà élaborés par certaines entreprises ou secteurs. Donc on ajoute encore des pages au mille feuilles existant mais aussi de la complexité là où il faudrait donner de la confiance et de la visibilité.
Cela dit, le protocole de déconfinement est plutôt bien fait, dommage que l’on ne l’aborde assez peu sous l’angle des principes généraux de prévention (on ne parle que de 3 des 9 principes généraux de prévention en page 3 du protocole national).
Enfin, il est difficile de croire que les employeurs de TPE ou PME auront le temps, les ressources humaines et financières de se lancer dans une application adaptée des mesures recommandées.
Pour conclure, comment peut-on imaginer que les salariés et les employeurs seront prêts lundi 11 au matin alors que le Premier Ministre s’exprime sur les modalités du déconfinement le jeudi à 16h00, jeudi suivi d’un jour férié et d’un weekend ! »

 

2- « Quels sont tes conseils prioritaires et pragmatiques ? »

« Tout d’abord, restons calme ! Il est faux de penser ou de croire que ce qui n’a pas été fait en 20 ans, le sera en 4 jours. Je veux parler des plans de prévention, des formations à l’accueil en sécurité des salariés, des protocoles de chargement ou encore du document unique d’évaluation des risques avec analyse de chaque poste de travail.

Donc la priorité est de considérer votre Document Unique d’évaluation des Risques comme votre propre protocole d’actions. Rédigez-le, mettez-le à jour, partagez-le avec vos collaborateurs (ne le rangez pas dans un tiroir !), mettez en place les mesures de prévention que vous avez défini pour VOTRE société.

Pensez également à rédiger, dans les prochaines semaines, vos plans de continuité d’activité (PCA) en passant en revue l’ensemble des situations qui pourraient frapper durablement votre société (une seconde vague, un nouveau virus dans les années à venir, la crue de la Seine ou de ses affluents, une fuite de produit chimique dans l’usine d’à-côté, l’effondrement du toit de la société cet hiver à cause de fortes chutes de neige, etc).

Gardons notre calme et notre bon sens sinon nous risquons de dépenser beaucoup d’argent en vain dans des actions qui n’ont pas de sens. Je prendrai l’exemple de la décontamination et désinfection de locaux inoccupés depuis des semaines. A quoi cela peut-il bien servir alors que l’on sait que le virus est inactif au bout de 3 jours sur l’acier et le plastique et 24 heures sur les papiers. De plus, c’est écrit en page 18 du Protocole National.

Gardez votre argent pour un bon nettoyage et pour acquérir des masques et du gel hydroalcoolique en grande quantité dès que cela sera possible afin d’en équiper vos salariés.

De plus, sans masque et sans gel hydroalcoolique, restez à la maison et télé travaillez si cela est possible. Mais restez chez vous quand c’est possible.
Au travail, gardez vos distances, lavez-vous les mains à l’eau et au savon toutes les heures (le gel hydroalcoolique est une roue de secours dans les transports par exemple), évitez de vous toucher le visage (le port de la visière de protection est un bon rempart). »

 

3- « Que retenir des premières jurisprudences sur le sujet ? »

« Que ce soient les décisions rendues dans les dossiers de la Poste, de Carrefour ou encore d’Amazon, les juges reprochent principalement le manque d’anticipation et le manque de mesures adaptées à la situation des salariés à leur poste de travail. Les entreprises incriminées ont repris et transcris dans leurs procédures et plans d’action, les mesures gouvernementales sans se les approprier et sans les adapter à leur situation.
En fait, ils ont fait du « copier/coller » alors qu’ils auraient dû mener une véritable évaluation des risques par poste et sur le terrain afin d’adapter leurs propres mesures de prévention. Ce n’est, ni plus ni moins, que l’obligation qui faite à chaque employeur depuis bientôt 20 ans dans le cadre du Document Unique d’évaluation des Risques. »

 

4- « Alors, quels premiers enseignements tirer « à chaud »  de ce que nous venons de vivre pour l’avenir ? »

« Albert EINSTEIN a dit « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent ». Il faudrait que nous arrêtions de penser que l’Etat peut tout. C’est faux et nous en avons la preuve actuellement. Il faut que nous nous prenions en main, et que nous pensions à notre protection individuellement pour qu’elle devienne collective.

Quelques exemples :
– Pourquoi doit-on toujours demander où se trouve les sanitaires dans les restaurants ou les bars ? Pourquoi les cacher ?!
– Pourquoi n’y a-t-il que 10, 20 ou 30 lavabos dans les toilettes des écoles alors qu’il y a plusieurs centaines d’enfants ? et où était le savon ?
– Pourquoi les formations à la sécurité et à la prévention sont-elles si peu dispensées et considérés comme inutiles ?

Il est urgent de se prendre en main. Donc dès que possible :

  • Que chaque personne se constitue, pour elle-même mais aussi pour chaque membre de son foyer, un stock de 250 masques FFP2, de 10 flacons de 200ml de gel hydroalcoolique, de quelques savons de Marseille. Ce stock pourra se constituer en 4 ou 5 ans afin d’étaler les coûts et les dépenses mais devra être maintenu en bon état d’utilisation pour les années à venir,
  • Que le lavage des mains devienne un réflexe dès le plus jeune âge et que l’on arrête de cacher les sanitaires dans les lieux ouverts au public et que les écoles soient correctement dotées de lavabos et de savon,
  • Que l’on s’abstienne d’aller travailler dès que nous sommes malades et potentiellement contagieux (arrêtons d’aller travailler avec de la fièvre, le nez qui coule en disant « pas grave çà va passer »).

Mais, ayons aussi d’autres réflexes de prévention. Deux exemples :

  • Équipons chaque maison d’extincteur (et que les habitants soient formés à son utilisation),
  • Formons RÉELLEMENT les élèves au « secourisme » et recyclons-les deux ans.

Que l’Etat arrête de « pondre » normes, réglementations et aux obligations en matière de prévention mais qu’il veille à ce que ce que l’existant soit déjà appliqué.

Pour finir, un rêve : que toutes les entreprises de plus de 300 salariés aient l’obligation de recruter un préventeur interne et que les plus petites entreprises se regroupent et mutualisent ce poste.

Bon courage à toutes et à tous et surtout prenez soin de vous et de vos proches »

Le 7 mai 2020

David Begard, Cadence Conseils 

David Begard